Tout le monde connaît les samouraïs ou en a au moins une fois entendu le nom. Il est presque impossible de parler du Japon sans à un moment les évoquer : le cinéma a contribué à en populariser l’image de guerriers redoutables qui auraient dominés le Japon ancien avec leurs valeurs militaires de courage et de fidélité. On a même affirmé très sérieusement que cet esprit des samouraïs aurait influencé le Japon moderne en étant à l’origine du militarisme des années 30 et du développement économique du Japon d’après-guerre.
Autant d’images, autant de stéréotypes : les valeureux et terribles guerriers samouraïs du Japon ancien ont autant de réalité historique que les preux chevaliers du Moyen Age défenseurs de la veuve et de l’orphelin. De même, le Japon actuel est autant le pays des samouraïs que la France contemporaine (ou la Belgique, l’Angleterre…) est le pays des chevaliers.
Les samouraïs ont été en effet dans l’Histoire du Japon l’équivalent des chevaliers de l’Europe médiévale. A partir du 9ème siècle ap JC, le pouvoir impérial japonais connut un affaiblissement croissant devant les grandes aristocraties locales et régionales jusqu’à perdre toute autorité au 12ème siècle. Le pays fut alors dirigé par des shoguns, de grands chefs militaires appuyant leur autorité sur des clientèles de grands seigneurs liés par fidélité personnelle, lesquels avaient aussi leur propre réseau de seigneurs vassaux etc. Bref des pyramides vassaliques de type féodal très proches de celles qui existaient en Europe à la même époque et dans laquelle les samouraïs, guerriers au service personnel d’un seigneur plus puissant, spécialisés dans le combat au sabre et à cheval étaient l’équivalent des chevaliers.
Les samouraïs ne formaient pas une classe sociale homogène : à chaque niveau des pyramides vassaliques, des plus petits chefs locaux aux grands aristocrates servant directement les shoguns, tout seigneur était samouraï du seigneur plus important qu’il servait. De même, un paysan qui avait les moyens de se payer un cheval et un sabre pouvait se proclamer samouraï sans que personne puisse lui contester ce titre. Certains de ces paysans exerçaient d’ailleurs leur métier de samouraïs à temps partiel, travaillant leur terre quand leur seigneur n’avait pas besoin d’eux.
Les seigneurs devaient assurer à leurs vassaux samouraïs argent et terres en échange du service armé que ceux-ci offraient : si ils ne recevaient pas ces compensations, les samouraïs n’obéissaient plus à leur seigneur et/ou en changeaient. A partir du 14ème siècle, la désobéissance à tous les niveaux devint même la règle, les samouraïs n’obéissant plus à aucun seigneur et le Japon connut jusqu’au 16ème siècle une période de guerres internes innombrables et d’anarchie politique généralisée. Quant au comportement des samouraïs au combat, les chroniques japonaises de l’époque médiévale les décrivent capables de fuir, se rendre et changer de camp : on est donc très loin de l’image des valeureux guerriers habités par le courage, la fidélité et le dévouement jusqu’à la mort.
Et pourtant, les samouraïs avaient un code d’honneur très strict, le Bushido, mettant en avant justement ces valeurs très stricts : courage, fidélité, mépris de la mort … Le Bushido est souvent cité quand on veut mentionner la soi-disant éthique des samouraïs. Soi-disant car ce code d’honneur fut rédigé par des samouraïs pour donner d’eux-mêmes une image prestigieuse : de 1600 à 1868 (époque dite de Edo) le Japon fut dirigé par une dynastie de shoguns, les Tokugawa, qui mirent fin aux guerres civiles sans fin des siècles précédents et installèrent un gouvernement centralisé en renforçant à leur profit les anciennes institutions féodales. Les samouraïs, jusque-là groupe social hétérogène aux limites floues devinrent alors une véritable caste héréditaire. Mais en même temps la fin des guerres internes signifiait un réel déclassement pour eux dont la fonction était le service des armes. D’où la volonté de certains membres de cette nouvelle caste d’en maintenir et renforcer le prestige par la valorisation de leur ancienne fonction guerrière et l’invention d’une soi-disant éthique exprimée dans le Bushido.
Même organisés en caste, les samouraïs ne formaient aux 17ème et et 18ème siècles pas plus qu’avant un groupe social homogène. Pour beaucoup d’entre eux, le Bushido ne voulait rien dire : certains samouraïs exerçaient différents métiers dans le commerce et l’artisanat et d’autres connaissaient une véritable misère les faisant parfois tomber dans la misère et/ou le brigandage.
Ceci explique peut-être pourquoi beaucoup de samouraïs accueillirent assez favorablement le nouveau gouvernement impérial du Meiji (1868-1912) qui mit fin aux vieilles institutions féodales, supprima la classe des samouraïs et entreprit de moderniser le pays à l’occidentale. Pas tous bien sûr : on mentionne souvent ceux qui, attachés à la soi-disant tradition du Bushido qu’ils avaient eux-mêmes inventés, se révoltèrent contre le gouvernement du Meiji. Le film Le dernier samouraï (Edward Zwick, 2003) s’inspire justement d’une de ces révoltes arrivée en 1877 et réprimée par l’armée. Il faut savoir que parmi les soldats qui réprimèrent ces révoltes de samouraïs attachés à la tradition figuraient des anciens samouraïs reconvertis dans la carrière militaire.
Un samouraï représentatif de cette époque est Ryoma Sakamoto (1836-1867), qui contribua à la fin de l’ancien régime féodal et à la mise en place d’une armée moderne.
Sachant tout cela, on voit mieux que les théories défendues selon lesquelles l’ancien esprit traditionnel des samouraïs aurait influencé le Japon moderne en étant à l’origine du militarisme des années 30 et du développement économique du Japon d’après-guerre sont archi-fausses : ce fameux esprit traditionnel (fidélité, mépris de la mort, courage …) n’a jamais vraiment existé. Autant dire que la France contemporaine (ou la Belgique, l’Angleterre…) est le pays des chevaliers.