Le Japon est-il vraiment en déclin ?

le Kinkakuji sous la neige

Le Japon était jusqu’aux années 1990 unanimement considéré comme une superpuissance économique à la croissance irrésistible (second PIB mondial à partir de 1968). Maintenant, par contraste, il est presque habituel de le décrire comme un pays embourbé dans des problèmes économiques et sociaux permanents, en plein déclin, en ruine, en décomposition, au bord de l’effondrement… C’en est parfois à se demander pourquoi le Japon n’a pas encore disparu de la surface du globe ! Car contrairement à ce qu’on croit ou veut faire croire le Japon n’est pas en déclin. La puissance économique japonaise a changée de nature.

Un Japon apparemment au bord de la ruine

Les apparences laissent pourtant bien penser à un Japon qui va mal. La croissance économique forte et soutenue depuis les années 50 s’est brutalement arrêtée avec la récession de 1991 et n’a jamais retrouvée son niveau d’avant : entre 2000 et 2008 la croissance du PIB japonais a été inférieure à celle de l’Union Européenne et des Etats-Unis (10,6 % contre respectivement 17,1 % et 18,6%). Le PIB japonais s’est même réduit en 2009 (-5,5%) et en 2011 (-0,7%). Certaines grandes entreprises auparavant fleuron de la puissance économique du Japon connaissent de grosses difficultés : Nissan en quasi-faillite à la fin des années 90 racheté par le français Renault, les entreprises d’électronique (Sharp, Sony …) accumulant les pertes et le recul sur le marché mondial. La dette publique japonaise représente plus de 200% du PIB ce qui en fait le pays le plus endetté du monde.

Les conséquences de ce ralentissement économique sont des problèmes sociaux graves : licenciements remettant en cause le principe de l’emploi à vie dans les grandes entreprise, hausse du chômage, des emplois précaires, de la pauvreté. Le Japon est ainsi un des pays développés connaissant le plus fort taux de pauvreté. Cette précarité croissante fait que de nombreux japonais, inquiets pour l’avenir, ne se marient pas et restent célibataires (20% de célibataires chez les Japonais de plus de 50 ans en 2012 contre 5% en 1992). Conséquence : baisse des mariages, baisse des naissances (1,39 enfants/femme en 2012 alors que le taux de renouvellement des générations est de 2,1 enfants/femme), vieillissement et diminution de la population japonaise ce qui assombrit l’avenir économique du pays.

Et le pire est que ce déclin économique n’est apparemment pas accidentel mais structurel : ainsi les problèmes que connaissent les géants japonais de l’électronique viennent de la concurrence sud-coréenne et chinoise, des nouvelles puissances économiques qui talonnent voire rattrapent le Japon, ce pays ayant ainsi perdu en 2010 son statut de deuxième économie du monde au profit de la Chine.

De bons indicateurs économiques

Sombre constant, en tout cas apparemment. D’abord les problèmes de certaines grandes entreprises japonais ne sont pas isolés : on s’étend beaucoup sur les difficultés de Sony ou Sharp en oubliant la faillite du géant sud-coréen Daewoo en 1999 ou la quasi-faillite de l’américain General Motors en 2009. On n’a pas à ce moment parlé de ruine ou de décomposition de la Corée du sud et des États-Unis.
La situation économique d’ensemble du Japon n’est pas si sombre : on peut citer les exportations japonaises multipliées par 3 entre 1989 et 2006 et Toyota qui est devenu numéro 1 mondial de l’automobile en 2008. La forte hausse du yen de ces dernières années, si elle a beaucoup gênée les exportations japonaises, a aussi boostée les investissements japonais directs à l’étranger et les rachats d’entreprises. D’ailleurs si l’économie japonaise était si affaiblie et déclinante, la récession mondiale de 2008 l’aurait terrassée en provoquant une récession durable et profonde … qui ne s’est pas produite : la forte contraction du PIB en 2009 (-5,5%) a été suivie par une forte croissance en 2010 (+4,4%) supérieure à celle de l’Europe des 27 (+2,1%) et des États-Unis (+3%). La récession de 2011 (-0,7%) s’explique quant à elle essentiellement par les destructions et la désorganisation de l’appareil productif suite au tsunami et au grand séisme de mars 2011.

Le Japon est très endetté mais 95% de la dette publique japonaise est détenue par des Japonais (particuliers ou entreprises) ce qui limite fortement les risques de crise financière à la grecque : en gros, le Japon est endetté avec lui-même. Il faut aussi savoir que le Japon est un des premiers créanciers du monde (3 000 milliards de $ de créances en 2012).

Des problèmes sociaux à nuancer et moins graves qu’ailleurs

Au niveau des problèmes sociaux que connaît le Japon, si la précarité et la pauvreté sont très importantes, la grande exclusion l’est heureusement beaucoup moins : les sans-abris sont ainsi peu nombreux et le sont même de moins en moins. En cas de problèmes économiques, les entreprises japonaises font en effet d’abord des économies dans les rémunérations variables (heures supplémentaires, bonus …) de tout le personnel, jusqu’aux dirigeants et licencient en tout dernier recours. Les grands patrons japonais sont ainsi relativement mal payés par rapport à leurs homologues français et américains. Tout le monde doit se serrer la ceinture mais ceci a l’avantage de limiter le chômage et donc l’exclusion.

Les problèmes démographiques sont aussi à fortement nuancer : d’abord le vieillissement important de la population japonaise vient en partie d’une espérance de vie qui est une des premières du monde. On peut aussi citer la mortalité infantile qui est une des plus faibles du monde : 2,21 pour 1000 en 2012 contre 3,37 pour mille en France. Le problème de la basse fécondité, insuffisante pour renouveler la population, n’est pas propre qu’au Japon : beaucoup de pays de l’OCDE ont ainsi des taux de fécondité à peine plus importants voire plus bas. Peut-on d’ailleurs vraiment parler de baisse la démographie au Japon ? Après avoir en effet baissé régulièrement des années 50 aux années 2000 (1,26 enfants/femme en 2005), le taux de fécondité remonte depuis lentement et a atteint 1,39 enfants/femme en 2011. Le nombre de mariages au Japon étant en baisse et les naissances n’ayant presque jamais lieu hors mariage, on peut donc en conclure à une augmentation encore plus forte de la fécondité chez les couples mariés. C’est bien sûr encore peu mais cela permet de corriger l’image d’une situation démographique dont tous les indicateurs seraient au rouge.

Concurrence … et partenariat avec la Corée du Sud et la Chine

Le passage en 2010 de la Chine au rang de deuxième puissance économique mondiale par le PIB, si il a rétrogradé le Japon au troisième rang mondial, ne signifie absolument pas un transfert des technologies japonaises vers la Chine : des entreprises comme Sony, Toyota, Panasonic ou Honda n’ont pas été dépassées ni même rachetées par des entreprises chinoises. Or des entreprises européennes ou américaines ont déjà été rachetées par des groupes chinois (la branche PC de IBM par Lenovo en 2004, Austin Rover par Nanjing en 2005, Volvo par Geely en 2008, les 4*4 Hummer par Sichuan Tengzhong en 2009)  sans que les médias parlent de l’Occident en déclin ou devenu l’ombre de la ChineLa croissance économique de la Chine profite d’ailleurs en partie à l’économie japonaise en fournissant des débouchés à son industrie.

La montée en puissance économique de la Corée du Sud, quant à elle,  ne concurrence pas que le Japon : Samsung, fleuron de l’électronique sud-coréenne, a ainsi fait reculer les japonais Sharp, Sony ou Fujitsu … comme le finlandais Nokia, le taïwanais HTC et est un rival sérieux pour l’iPhone d’Apple.
En admettant le recul du Japon devant la concurrence sud-coréenne dans le domaine de l’électronique grand public, ce recul révèle aussi un aspect méconnu de la puissance japonaise : des produits  coréens comme ceux de Samsung qui concurrencent les fabricants japonais sont en effet en partie … de conception japonaise.

Le leadership technologique caché du Japon

Le leadership japonais reste en effet très important dans l’innovation technologique. Plus exactement, la maîtrise technologique japonaise s’est déplacé en amont de la production industrielle et plusieurs secteurs technologiques voient ainsi un net leadership voire un monopole du Japon :

  • les tranches de silice équipant la plupart des circuits intégrés des ordinateurs
  • les aiguilles de lecture des supports magnétiques des disques durs d’ordinateurs
  •  les appareils photo numériques,
  • les écrans tactiles des téléphones mobiles et des consoles de jeux
  • tous les écrans de télévision HD du monde qui sont protégés par un film invisible de fabrication japonaise
  • tous les mécanismes de changements de vitesse des vélos du monde eux aussi de fabrication japonaise !

Si en 2009 un groupe sud-coréen a pu remporter l’appel d’offres lancé par l’émirat d’Abu Dhabi pour son programme d’équipement nucléaire civil c’était en partie grâce à l’apport technologique de Toshiba. Autres exemples : Nippon Steel Works, la seule entreprise au monde capable de couler d’une seule pièce un cœur de réacteur nucléaire et le disque Blu-ray, invention du japonais Sony qui s’est imposé comme la nouvelle norme des supports de vidéo numérique après une rivalité avec le HD DVD de Toyota, autre fabricant japonais.

On peut aussi citer la sortie de l’iPhone 5 qui avait été retardée suite au séisme et au tsunami japonais de mars 2011 car l’iPhone intègre des composants conçus uniquement au Japon. Même chose pour l’industrie automobile française dont la production a été perturbée pour les mêmes raisons perturbée. Plus amusant : l’explosion en octobre 2012 sur le site d’une  usine de production de polymères à Himeji dans l’ouest du Japon avait fait craindre une pénurie mondiale …. de couches car l »entreprise concernée avait une part de marché mondiale de 20% dans les polymères hyperabsorbants entrant dans la composition des couches.

En 2012, les dépenses japonaises de recherche et développement représentaient 17 % de la recherche mondiale, ce qui en fait le premier pays en terme de recherche par habitant et 30 % des brevets déposés dans le monde sont japonais.

Sources :

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