Signe que le mouvement anti-nucléaire prend racine au Japon, le 28 juillet est né le parti politique Greens Japan. Dans un pays où l’échiquier politique est traditionnellement bipartite, ce nouveau-né écologiste espère trouver sa place.
C’est un mini-coup de poker politique réussi, dans un pays essentiellement dominé par le Parti libéral démocrate (au pouvoir quasiment sans interruption de 1955 à 2009) et le parti démocrate (PDJ). Samedi 28 juillet, le parti écologiste Greens Japan a vu le jour au pays du soleil levant.
Une première d’autant plus étonnante que depuis les catastrophes nucléaires qui ont secoué le Japon à travers son histoire – d’Hiroshima (août 1945) à Fukushima (mars 2011) – aucun parti politique vert n’avait réussi, avant lui, à se faire une place sur l’échiquier politique.
Pour Jean-François Sabouret, chercheur et spécialiste du Japon au CNRS, l’atterrissage politique réussi de Greens Japan est dû à deux facteurs : la prise de conscience collective sur les risques du nucléaire civil depuis la catastrophe de Fukushima, d’une part, et le rôle joué par les réseaux sociaux qui a permis au petit parti de se faire connaître rapidement, d’autre part.
« Après Hiroshima, la priorité était la reprise économique, après Fukushima, tout a changé »
« Dans les années 1990, d’autres avaient en effet essayé de créer un parti vert. Les différentes tentatives ont été des échecs. Les préoccupations de la population, à cette époque, n’étaient pas centrées sur l’environnement. Fukushima n’avait pas encore brutalement marqué les esprits et Twitter et Facebook n’existaient pas. Il était donc impossible de se faire connaître et de rassembler en un temps record les citoyens anti-nucléaire autour d’un projet commun », explique l’expert.
À Tokyo, il est vrai, la rue porte aujourd’hui les stigmates d’un changement « green ». L’ampleur des manifestations anti-nucléaire depuis la décision du gouvernement, début juillet, de redémarrer un réacteur nucléaire à l’arrêt dans le Kansai a fait des émules. Les rassemblements, quasi quotidiens, réunissent à chaque fois des dizaines de milliers de contestataires.
Claude Meyer, professeur à Sciences-Po, spécialiste de l’Asie et auteur de « Chine ou Japon, quel leader pour l’Asie ? » partage l’analyse de son confrère du CNRS. Il tient toutefois à étayer son propos. Selon le chercheur, il est en effet important de justifier la naissance de ce parti en tenant compte aussi de l’évolution des mentalités japonaises depuis 1945. « Après la Seconde guerre mondiale et les bombardements de Hiroshima et Nagasaki, la préoccupation des Japonais était la reconstruction du pays. Beaucoup se sont demandés pourquoi les Japonais ne sont pas devenus naturellement pro-environnement. Mais à cette époque, la reprise économique et la reconstruction du pays étaient obsessionnelles, la lutte anti-nucléaire complètement secondaire. Aujourd’hui tout est différent. Fukushima résonne comme un danger technologique et la population est déçue par la gestion de la catastrophe « , avance-t-il.
Un parti encore fragile et peu structuré
Reste à savoir si ce nouveau-né politique résistera au temps. Pour le moment, le parti tâtonne et n’a pas encore mis au point de véritable structure ni un programme politique clair. « Tout ce que je peux dire, c’est que ce parti vert regroupent des jeunes personnes, activistes ou élus locaux, beaucoup de femmes et qu’il tire son idéologie de la ‘Révolution des hortensias’ [mouvement de contestation de la jeunesse japonaise, né après le drame de Fukushima]« , précise Jean-François Sabouret, « il place l’abolition du nucléaire comme priorité numéro un, mais on sait peu de choses de sa hiérarchie et de ses projets économiques ou sociaux. »
Des lacunes que les écologistes devront s’atteler à combler rapidement avant qu’elles ne deviennent de lourds inconvénients. « Greens Japan ne compte en son sein ni de transfuges politiques, ni de ‘professionnels de la politique’ », explique Jean-François Sabouret. « Son mode de fonctionnement est celui d’un mouvement associatif, sans poids et sans charisme pour contrer les deux géants politiques japonais », ajoute Claude Meyer qui insiste sur l’urgence à se structurer solidement.
« La politique, une affaire de gros sous »
Et Greens Japan n’est pas au bout de ses peines : car outre la consolidation de la carte politique et l’amélioration de sa vitrine marketing, le parti doit aussi réfléchir à son financement. Au Japon, insiste Jean-François Sabouret, « la politique n’est qu’une affaire de gros sous ». Et les fonds risquent de manquer au jeune parti. « Des entreprises comme Tepco [compagnie d’électricité, gérant de la centrale de Fukushima] ont souvent arrosé les partis politiques de droite comme de gauche. Le clientélisme tourne à plein régime. Or, les sociétés du pays sont majoritairement pro-nucléaires, trouver des appuis ne sera pas simple », explique-t-il.
En attendant de trouver une solution à la problématique pécuniaire, le chercheur suggère à Greens Japan de jouer la carte de l’engagement international. « Les Verts doivent s’associer à d’autres partis écologistes dans le monde. Ils doivent se donner du poids, se faire connaître et, pour cela, sortir de l’archipel », argumente-t-il. Un conseil que les Verts semblent vouloir appliquer. Greens Japan envisage de s’associer aux partis écologistes européens et à l’ONG internationale Greenpeace. Cette vitrine internationale sera-t-elle suffisante pour convaincre les Japonais du bien-fondé de son existence politique ? Réponse dans les urnes, à l’été 2013, lors des prochaines législatives.
Source : France 24